Les gens

Cela fait des années que je réfléchis à quelque chose. Des années, que ça m’interroge. Des années, que j’essaye de comprendre. Des années que j’essaye de répondre à cette question:

POURQUOI JE N’AIME

PAS LES GENS?

Alors évidement, il m’a fallu longtemps pour le formuler ainsi. & d’ailleurs ce n’est pas moi qui l’ai formulé. C’est Jeff, un de mes collègues électron-libre de la Médiathèque où je bossais, qui l’avait dit ainsi quand je suis partie : 

« Mais pourquoi elle ouvre un magasin,

alors qu’elle n’aime pas les gens ? ». 

Tu te doutes que lorsqu’on m’avait rapporté ses propos, je ne l’avais pas très bien pris. D’autant que LUI, il les aimait vraiment LES GENS. En tout cas, je ne sais pas s’il les aimait vraiment, mais ils les accueillaient tous avec la même bonne humeur. Indifférent à ce qu’ils étaient. Quoi que…

On pourrait faire une note rien que sur lui.

Il est mort depuis.

Mais il ne se passe pas un jour sans que je ne pense à lui. Parce que je ne suis pas juste, quand je dis qu’ils les accueillaient, indifférent à ce qu’ils étaient. Jeff, c’est le gars qui ne fait pas semblant.  Jeff, c’est le gars qui dit tout le temps tout haut & sans filtre ce que tout le monde chuchote en râlant. Il pouvait accueillir un africain en lui parlant avec l’accent façon Michel Leeb (sans que la personne n’en soit aucunement vexée). Il pouvait imiter le cheveu sur la langue d’une de nos chefs en s’adressant à elle. Il pouvait mettre une crotte de nez dans le plat de la chef qui ne supportait pas de manger avec les mêmes couverts et au même endroit que nous. Il pouvait demander à ma collègue sous cacheton pourquoi elle s’était rasée la moitié de la tête alors que tout le monde passait à côté en faisant comme si de rien n’était (y compris moi, c’était trop gênant). Mais c’était lui aussi qui se levait et partait quand une trop grosse énormité était énoncée en réunion (oui, pas à chaque énormité, sinon il aurait passé sa vie entre deux portes). & lui aussi qui disait les injustices. La bêtise crasse. Les absurdités. 

C’était lui qui m’accueillait en sifflotant le matin, en me disant:

« Rohhhhh bah qu’est-ce que t’as à rigoler ? Tu ne peux pas faire la gueule comme tout le monde ? » quand j’arrivais au rangement*.

 Il était immensément drôle & c’est grâce à lui que je respirais un peu mieux les derniers temps. Mais il n’avait pas tort. J’ai commencé à me dire qu’il fallait que je m’en aille** quand je me suis rendue compte que j’avais “la dent qui poussait” dès que quelqu’un entrait à la Médiathèque. La dent qui pousse, c’est comme ça qu’on dit avec mon pote Aline quand on n’a pas trop envie que quelqu’un nous parle (sans surprise, c’est souvent une conséquence immédiate des soirs où on a trop picolé).

Je me suis même vu googler : « Comment ça s’appelle quand on n’aime pas les gens ? ». Mais la question principale qui revenait et revenait encore c’était :

POURQUOI JE N’AIME

PAS LES GENS?

& avec cette question arrivait tout son chapelet d’autres questions pour l’accompagner.

★ Mais du coup, pourquoi leurs histoires m’intéressent passionnément ?

★ Mais pourquoi quand ils me les confient, ça m’ajoute une charge psychologique trop lourde à porter ?

★ & dans ce cas, pourquoi j’aime autant lire des histoires de gens ?

★ Pourquoi tous les romans que je choisis sans exception racontent l’histoire d’une ou plusieurs personnes ?

★ & pourquoi je peux passer un après-midi entier assise à les contempler & à essayer de comprendre à quel endroit ils en sont ?

★ Pourquoi il y en très peu qui passent le filtre de mon cœur ?

★ & pourquoi ils me fatiguent autant ? Même les plus proches ?

★ Pourquoi à leur contact prolongé, je finis complètement lessivée ?

★Pourquoi quand je les fréquente de trop près, j’en ressors souvent écœurée ?

★Pourquoi j’ai rarement réussi à trouver une assemblée d’êtres humains dans laquelle je me reconnaissais ?

★Comment on fait pour ne pas être heurté ?

★Pourquoi quand j’essaye d’en parler ils me répondent pour la plupart : tu te poses trop de questions ? Ou encore Il faut t’en foutre ?

★& comment on fait pour s’en foutre ?

★Pour qui je me pends à avoir un œil aussi sévère sur la plupart des gens ?

Avec mon copain Sophie (“mon copain” définit toutes ces filles avec qui j’arrive à être amie et qui ne se croient pas obligées de répondre à ce que la société nous dit en général, qu’on est), on a pour projet d’imprimer un tee-shirt :

J’avais trouvé une amorce de réponse lorsque j’ai mis le doigt sur mon introversion.

Je t’avais raconté cette découverte dans cette note-là: INTROVERTIE.

& pendant mes vacances, au profit de longues journée à regarder l’océan au-dessus de mon livre en cours (tout en surveillant ma fille pendant ses 4h de baignades d’affilées), j’ai eu un moment OUAAAH.

En fait, ce n’est pas LES GENS que je n’aime pas. CE SONT LES MENSONGES.

Les apparences. Le persona. Le jeu social. Les mensonges aux autres. Les mensonges à soi & les deux sont très souvent liés. En vrai, la plupart des gens se racontent des histoires. & moi je les écoute me raconter ce que je devrais penser d’eux. & puis je regarde ce qu’ils ne disent pas mais qui est tellement gros, que tout le monde le voit.

[ATTENTION: tu ne trouveras aucune tolérance, ni aucune bienveillance ici & les propos que je vais tenir pourraient heurter ta sensibilité. Par contre si tu es comme moi & que tu acceptes l’idée que t’as des côtés moches et que ça fait partie du package, alors tu pourras sans doutes me lire sans trop être heurtée & même peut-être rigoler]

Par exemple, j’ai un vrai problème avec les gens qui portent des perruques. Enfin ceux chez qui ça se voit. Ou ces mecs de l’époque d’avant, qui rabattaient une mèche sur le crâne brillant pour simuler un simulacre de cheveux. J’ai un problème avec les coaches qui te proposent de t’accompagner sur quelque chose, qu’une fois sorti du beau discours commercial, ils n’ont pas réussi à faire pour eux. J’ai un problème avec les filles-vitrines qui essayent à tout prix d’exposer une vie-vitrine avec leur MARI & qui t’appellent ensuite pour te raconter les horreurs que leur mecs leur fait. J’ai un problème avec les familles-cœurs avec les doigts et les émoticons-LOVE-LOVE sur les réseaux, quand dans la vraie vie, chacun rhabille chacune à l’envie. J’ai du mal avec le manque de cohérence. J’ai du mal avec les petits arrangements. J’ai du mal avec les conseils de gens qui te conseillent  visiblement l’opposé de ce qu’ils se sont imposés. J’ai du mal avec la meuf qui se raconte qu’elle adore danser alors que jamais de sa vie tu ne l’as vu faire. J’ai du mal avec le gars qui a passé 74 ans de sa vie à se dire que c’est la faute du monde entier, & qui ne s’est jamais demandé où était sa responsabilité.

MAIS SURTOUT, surtout ce que je crains le plus c’est la façon dont moi je le fais. & du coup, je n’aurai de cesse de traquer mes mensonges & de m’entourer des gens qui me regarderont un sourcil soulevé en me disant : là, tu déconnes. Ou t’en n’a pas marre de répéter les mêmes conneries. Ou “Mais non il ne reviendrai jamais”. Parce que je crois que c’est une des mille façon d’AIMER.

Astérisque: petites étoiles énervantes qui t’obligent à t’interrompre dans ta lecture mais qui permet de faire  des apartés qui sans ça allongerait ton texte d’un milliard d’année. 

*chaque matin dans une médiathèque, on remet en rayon les livres et document qui ont été rangés la veille. Tout ça en râlant parce que ces connards de lecteurs dérangent tout, tout le temps en oubliant que c’est l’essence de ce métier que de mettre à disposition des trucs et surtout que ces trucs soient sortis des rayons pour consultation. & c’est moi qui n’aime pas les gens…AHAHAH.

**J’ai aussi commencé à me dire qu’il fallait que je m’en aille quand je me suis mise à me gratter & à développer un prurit nerveux. J’ai aussi commencé à me dire qu’il fallait que je m’en aille quand on m’a fait bosser le matin de l’ouverture de mon Magasin de Mots « par principe, tu comprends ». J’ai aussi commencé à me dire qu’il fallait que je m’en aille quand mon chef a fait retirer l’article qui annonçait l’aboutissement de mon projet de Magasin de mots (sur lequel je bossais depuis 5 ans) sous prétexte que c’était une information « privée » qui ne regardait pas mes collègues (bibliothécaires je le rappelle). J’ai aussi commencé à me dire qu’il fallait que je m’en aille quand ma chef m’a couru après dans toute la médiathèque pour me dire de remettre la grille dans le frigo qui se trouvait à côté de son bureau, pour m’apprendre à « mener une animation jusqu’au bout ». J’ai aussi commencé à me dire qu’il fallait que je m’en aille quand on m’a mise dans des situations d’animation que je n’avais pas choisi en me disant de minimiser la qualité, vu qu’il s’agissait surtout de garder les gamins et de les occuper. J’ai aussi commencé à me dire qu’il fallait que je m’en aille quand on m’a retiré des postes à « responsabilités » parce que la chef n’aimait pas que je lui dise qu’on s’en foutait de réfléchir deux heures sur l’emplacement des gommettes vertes qu’on devait coller sur les magazines. Bref, au cas où tu penserais qu’il y a UN déclic qui pousse à partir voici surtout la preuve qu’il y a un tas de grains de sable qui se glissent dans les engranges entre toi & tes idéaux de travail bien fait.

2 réflexions au sujet de “Les gens”

  1. “Astérisque: petites étoiles énervantes qui t’obligent à t’interrompre dans ta lecture mais qui permet de faire des apartés qui sans ça allongerait ton texte d’un milliard d’année. ” => Je suis fan !!!!

  2. hello, ca fait plusieurs annéees (je pense) que je te suis, au rythme de tes blogs, de tes coups de tête, de coeur. je recois toujours tes newsletters, je ne me suis jamais desabonnée. je ne les lis pas toutes, (!!!! ) mais parfois j’ai un coup de coeur et ca me donne envie de cloiquer et d’aller voir. comme ce matin. ca faisait longetemps que je n’avais pas lu, c’est toujours aussi bien. Lire et sentir les similitudes. lire et sourire car tu me fais rire, c’est si rare (je ne suis pas triste ni déprimée, mais c’est trés rare qu’on me fasse vraiment sourire comme toi sur ce genre d’histoire racontées). je me dis a nouveau que c’est bien dommage que tu sois si loin sinon je suis sure que je serai souvent passée dans le magasin de mots. je suis a nice. bon voilà, merci pour ces newsletters, merci d’être toi, j’aime cette originalité, j’aime cette sincérité de vie. vive la magie des mots , take care, claudia

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